Le 22 octobre 2025, par Urbanitas.fr. Temps de lecture : quatre minutes.
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Le 22 octobre 2025, par Urbanitas.fr. Temps de lecture : quatre minutes.
Agriculture et sécurité alimentaire en Afrique
L’agronome nigériane Mercy Diebiru-Ojo a été récompensée en octobre 2025 par l’Africa Food Prize pour ses travaux innovants en agriculture. Avec son équipe de l’Institut international d’agriculture tropicale (IITA), elle a adapté au contexte africain une technique de culture hydroponique permettant de multiplier par six les rendements de manioc et d’igname, deux cultures essentielles pour la sécurité alimentaire du continent.

L’agronome nigériane Mercy Diebiru-Ojo a reçu en octobre 2025 le prestigieux Africa Food Prize, une distinction saluant les contributions exceptionnelles à l’amélioration de l’agriculture africaine. Cette récompense, qu’elle partage avec la Kényane Mary Abukutsa-Onyango, couronne ses travaux sur une technique révolutionnaire de culture du manioc et de l’igname, deux tubercules fondamentaux pour la sécurité alimentaire du continent.
La chercheuse de 44 ans, basée à l’Institut international d’agriculture tropicale (IITA) d’Ibadan dans le sud-ouest du Nigeria, a mis au point avec son équipe une méthode permettant de faire passer les rendements de 5 à 30 tonnes par hectare et par an. Cette innovation repose sur l’adaptation d’une technique hydroponique développée il y a une vingtaine d’années par l’entreprise américaine Sahtechno, baptisée Système hydroponique semi-autotrophe (SAH) pour désigner cette culture en substrat neutre en partie autotrophique.
La méthode traditionnelle de culture consiste à replanter saison après saison des morceaux des mêmes tubercules de ces plantes alimentaires, le manioc (Manihot esculenta), une Euphorbiacée, et l’igname (nom qui rassemble diverses espèces du genre Dioscorea). Avec un défaut : cette méthode entraîne progressivement un affaiblissement de la résistance des plantes face aux maladies et une baisse des rendements. Le procédé développé par Mercy Diebiru-Ojo rompt avec cette pratique traditionnelle : les plants sont d’abord cultivés dans des serres protectrices, dans de petites barquettes contenant une solution nutritive riche en minéraux, hors de tout contact avec le sol. Durant leur croissance, une partie des plantes est coupée puis immédiatement replantée dans ce substrat enrichi, avant d’être finalement transférée en pleine terre. La combinaison de ces deux facteurs - une protection initiale contre les agents pathogènes, couplée à un apport nutritionnel idéal - permettent aux plantes de se développer avec une vigueur remarquable.
L’enjeu économique et social de cette innovation est considérable pour le Nigeria, premier producteur mondial de manioc et d’igname avec plus de 60 millions de tonnes de chaque tubercule récoltées annuellement. Le pays assure environ 70 % de la production mondiale d’igname et 20 % de celle de manioc. Pourtant, malgré cette position dominante, la nation la plus peuplée d’Afrique dépense quelque 600 millions de dollars par an pour importer des produits dérivés du manioc, selon la Banque centrale nigériane. Ce paradoxe illustre la nécessité de développer une industrie locale de transformation.
Ces deux cultures, manioc et igname, présentent des atouts agronomiques majeurs : elles prospèrent dans des sols pauvres, nécessitent peu de main-d’œuvre et sont traditionnellement cultivées par de petits agriculteurs qui les utilisent pour leur subsistance avant de commercialiser le surplus. Consommées des feuilles aux racines, elles sont omniprésentes dans l’alimentation sous forme de farine, de tapioca, de bouillies, de frites ou en purée. Au-delà de l’usage alimentaire, leur amidon trouve des applications industrielles dans la fabrication de matières plastiques d’origine végétale, de biocarburants (bioéthanol), ainsi que dans les secteurs pharmaceutique, cosmétique et textile.
Dans un contexte où plus de 30 millions de Nigérians sont confrontés à la famine selon le Programme alimentaire mondial, l’augmentation spectaculaire des rendements obtenue grâce aux travaux de Mercy Diebiru-Ojo offre des perspectives cruciales. La chercheuse souligne que les familles pourraient désormais produire de quoi se nourrir dans un simple jardin derrière leur habitation. Cette approche répond également aux problèmes d’insécurité qui frappent le pays : les violences liées aux mouvements armés extrémistes dans le nord-est, aux groupes criminels dans le nord-ouest et aux affrontements intercommunautaires dans le centre ont chassé de nombreux agriculteurs de leurs terres. La possibilité de cultiver près des habitations élimine la nécessité de s’aventurer dans des zones dangereuses.
Le vice-président nigérian Kashim Shettima déclarait en juillet 2025 que le manioc constituait l’un des actifs les plus stratégiques du portefeuille agricole national, insistant sur l’impératif de transformation locale et saluant le travail de l’Institut international d’agriculture tropicale. Le déploiement du système SAH s’accompagne d’une stratégie de développement du secteur privé, chargé de commercialiser les semences et de former les agriculteurs à cette nouvelle méthode. L’institut collabore déjà avec des entreprises et des institutions publiques dans une quinzaine de pays africains.
L’ambition de Mercy Diebiru-Ojo dépasse les frontières nigérianes. Son objectif affirmé est d’aider l’ensemble du continent africain à atteindre la sécurité alimentaire, voire d’étendre cette révolution agricole au-delà de l’Afrique. La scientifique, qui ne s’attendait pas à recevoir cette distinction, espère également inspirer d’autres femmes à s’engager dans la recherche scientifique et contribuer ainsi à transformer l’agriculture africaine.
Urbanitas.fr
autotrophique : mode de vie d’un organisme capable d’élaborer sa propre substance à partir des minéraux (p. ex. les végétaux chlorophylliens).
hydroponie : culture réalisée sur un substrat neutre et inerte (sable, pouzzolane, billes d’argile, etc.), irrigué d’une solution de sels minéraux et de nutriments essentiels à la plante.
rendement agricole : indicateur calculé par le rapport de la quantité de produit récoltée sur la surface cultivée, souvent exprimé en tonnes, ou en quintaux métriques, par hectare de culture.
sécurité alimentaire : accès physique et économique à une alimentation suffisante, saine et nutritive
Ressource : Multiplication par Système Hydroponique Semi-Autotrophe (propas.iita.org)
Ressource : International Institute of Tropical Agriculture (IITA) (iita.org)
Ressource : CASS. Projet de Systèmes de Semences d’Agro-industrie du Manioc [PDF] (iita.org)
Ressource : Qu’est-ce que la sécurité alimentaire ? (banquemondiale.org)
Ressource : Sécurité alimentaire, insécurité et vulnérabilité alimentaires (geoconfluences.ens-lyon.fr)
Ressource : Technologie de la culture hydroponique semi-autotrophe (agridigitale.tg)
Ressource : La technologie SAH, une innovation agricole en Afrique subsaharienne qui couvre de nouvelles perspectives pour la sécurité alimentaire et le développement agricole du continent. (agropasteur.com)
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