Le 21 avril 2025, par Urbanitas.fr. Temps de lecture : quatre minutes.


La Chine augmente les salaires minimums pour stimuler sa consommation intérieure

Politique sur les salaires en Asie

Les autorités chinoises ont ordonné une augmentation moyenne de 10 % du salaire minimum dans plusieurs provinces du pays, dans le but de relancer la consommation intérieure qui souffre depuis la fin de la pandémie de Covid-19 et face aux droits de douane imposés par les États-Unis. Une politique d’inspiration keynésienne qui semble avoir déjà fait ses preuves depuis plusieurs années.

Carte de l'Empire du Milieu / Israfil Dough
Carte de l'Empire du Milieu / Israfil Dough © Urbanitas, 2025

Face à une économie en difficulté depuis la fin de la pandémie de Covid-19, les autorités chinoises ont décidé d’adopter une mesure d’envergure : augmenter le salaire minimum dans plusieurs provinces du pays. Cette initiative, qui concernera des centaines de millions de travailleurs, vise principalement à relancer la consommation intérieure, un pilier fragilisé de l’économie chinoise.

Cette décision intervient dans un contexte particulièrement délicat pour la deuxième puissance économique mondiale. Aux difficultés post-pandémiques s’ajoutent désormais les conséquences des droits de douane imposés par les États-Unis sous la présidence de Donald Trump. Ces mesures protectionnistes menacent directement le secteur des exportations, l’un des rares moteurs encore fonctionnels de l’économie chinoise.

La hausse du salaire minimum, estimée à environ 10 % en moyenne, a déjà été annoncée dans une dizaine de provinces, notamment le Fujian, le Sichuan, le Xinjiang et le Guangdong. D’autres régions, comme le Tibet, devraient suivre prochainement. À titre d’exemple, dans la province du Fujian, située face à Taïwan, le salaire minimum mensuel passera d’environ 250 euros à 280 euros. Une augmentation modeste en apparence, mais significative pour les ouvriers concernés.

Le mécanisme de fixation du salaire minimum en Chine diffère du modèle français. Ce sont les provinces qui déterminent individuellement le montant applicable sur leur territoire. Toutefois, lorsque le gouvernement central de Pékin émet une directive, les autorités provinciales disposent d’une marge de manœuvre limitée.

En complément de cette revalorisation salariale, d’autres mesures sociales ciblées ont été mises en place. Les livreurs, qui constituent une main-d’œuvre considérable dans les grandes métropoles chinoises, bénéficieront désormais d’un meilleur accès à la sécurité sociale. Sous la pression gouvernementale, plusieurs entreprises majeures du secteur, comme Meituan, se sont engagées à prendre en charge les cotisations sociales d’une partie de leur personnel.

Le régime explore également d’autres pistes pour stimuler la consommation, notamment l’instauration de nouvelles périodes de congés. Certaines universités pékinoises ont déjà mis en œuvre des vacances de printemps, un concept inédit dans le calendrier académique chinois traditionnel.

D’atelier du monde à puissance d’innovation

En Chine, le salaire nominal moyen des travailleurs urbains a été multiplié par 13 entre 1998 et 2020, dépassant aujourd’hui celui de la plupart des pays hors OCDE. Cette évolution significative soulève des questions sur les ressorts actuels et futurs de la croissance chinoise, qui reposait initialement sur le faible coût de sa main-d’œuvre.

Selon une étude publiée en septembre 2021 dans le Journal of the Asia Pacific Economy par les économistes Junwei Shi et Hongyan Liu (« Wage increase and innovation in manufacturing industries: Evidence from China »), cette hausse salariale a favorisé l’innovation, devenue l’un des moteurs de la croissance économique du pays. Leur analyse de 37 secteurs manufacturiers entre 2002 et 2019 montre une corrélation positive entre l’augmentation des salaires et l’innovation, mesurée par le nombre de brevets déposés.

Cependant, cette relation n’est devenue significative qu’après 2008, avec l’entrée en vigueur d’une nouvelle législation sur les contrats de travail qui a uniformisé le rapport salarial. Les effets les plus marqués s’observent dans les secteurs où le besoin en main-d’oeuvre est fort, comme dans le textile ou dans les secteurs technologiques de l’industrie - la chimie ou l’électronique. C’est beaucoup moins vrai dans le cas de la sidérurgie, qui repose avant tout sur la disponibilité de capitaux. Le constat est le même dans un autre article de recherche, paru l’année suivante (« Government regulation on corporate compensation and innovation: Evidence from China’s minimum wage policy », par Guangqiang Liu et Lingli Lv)

Le mécanisme principal est celui d’une transformation et d’une augmentation de la productivité du travail, allant de paire avec des avancées technologiques. Alors que la hausse des salaires peut être perçue comme un obstacle à l’innovation, par une réduction de profitabilité pour les entreprises (et, partant, leur capacité à investir dans les nouvelles technologies), les auteurs pointent au contraire que l’augmentation des coûts de main-d’œuvre, en contraignant les bénéfices des entreprises, conduit à faire évoluer les compétences et à transformer la structure de la main-d’œuvre au sein de l’entreprise. Cette dynamique témoigne de la transformation du modèle économique chinois, passé progressivement du statut d’usine du monde à celui de puissance d’innovation technologique.

Ces conclusions résonnent au-delà du contexte chinois. Même dans les pays de l’OCDE, la rémunération n’est pas antagoniste à l’innovation, particulièrement lorsqu’elle s’accompagne d’un véritable investissement dans le capital humain. Selon les auteurs de l’étude, c’est ainsi en formant et en motivant correctement leur personnel que les entreprises sont amenées à innover durablement, tant en Chine qu’en Europe - contrairement à des stratégies qui privilégieraient l’investissement technologique au détriment des salariés dans un contexte de pression concurrentielle sur les prix.

Cette étude sur la hausse des salaires en Chine trouve un écho en sciences économiques dans la théorie keynésienne. L’économiste britannique John Maynard Keynes (1883-1946) défendait l’idée que l’augmentation des salaires stimule la demande globale, créant un cercle vertueux économique. Ce que les études sur l’économie chinoise révèlent va plus loin : les salaires plus élevés ne génèrent pas seulement une consommation accrue, mais deviennent un moteur d’innovation.


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Articles et ressources

Ressource : Acemoglu, Daron. 2010. “When Does Labor Scarcity Encourage Innovation?” Journal of Political Economy 118 (6): 1037–1078 (journals.uchicago.edu)

Ressource : Autor, Dadvid, H., Frank Levy, and, and R. J. Murnane. 2003. “The Skill Content of Recent Technological Change: An Empirical Exploration.” The Quarterly Journal of Economics 118 (4): 1279–1333 (academic.oup.com)

Ressource : Chu, Angus, Zonglai Kou, and Xilin Wang. 2020. “Dynamic Effects of Minimum Wage on Growth and Innovation in a Schumpeterian Economy.” Economics Letters 188: 108943–108945 (sciencedirect.com)

Ressource : Draca, Mirko, Stephen Machin, and John Van Reenen. 2011. “Minimum Wages and Firm Profitability.” American Economic Journal: Applied Economics 3 (1): 129–151 (aeaweb.org)

Ressource : Yang, Siying, Jing Lu, and Zheng Li. 2020. “Minimum Wage Standard and Innovation: Forcing or Restraining?” Journal of Shanghai University of Finance and Economics 22 (5): 18–32 (qks.sufe.edu.cn)

Ressource : Independent report. Impacts of minimum wages: review of the international evidence (gov.uk)

Entités liées

Économie chinoise, salaire minimum, consommation intérieure, guerre commerciale, Donald Trump, droits de douane, provinces chinoises, réformes sociales, pouvoir d’achat, exportations chinoises.


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